
Canicule
de gauche et canicule de droite.La chaleur soudaine, et d’ampleur
inégalée pour la fin juin, pose une série de questions aux scientifiques et aux
associatifs qui, depuis une trentaine d’années – le sommet de Rio est un repère
– tentent difficilement de rendre efficientes auprès de la classe politique les
anticipations sérieuses et leurs conséquences concrètes.
Se laisser aller au « nous l’avions bien dit, ça n’a servi à rien » est facile et stérile. De fait nous avions tous envisagé que les premiers effets du changement climatique, ainsi que les dommages à la nature ne suffiraient pas à amorcer les changements de comportements.
Dans plusieurs articles dans la revue Esprit [.], dont ce blog reprend des éléments, j’ai défendu que la thèse la plus plausible était d’aller vers « Un jardin des pays riches » avec une muraille écartant les populations pauvres, de plus en plus dans le malheur dû aux émissions des pays industrialisés responsables et profiteurs des dégâts.
Bien des faits observés confortent cette thèse aujourd’hui. Cependant ce qui se passe est plus violent encore. Il est indispensable de compléter l’opposition « intérêt collectif » vs « décision individuelle » nouée autour du « dilemme du prisonnier » par d’autres concepts économiques : absence d’indicateurs écologiques clairs effacés par la volatilité des marchés financiers qui sont au cœur du capitalisme contemporain et que j’évoque aussi dans ce blog.
Récemment la bataille s’est recentrée sur la notion de progrès, notion fondamentalement idéologique sur laquelle se fondent les diverses formes de démocratie qu’elles soient gouvernées à droite ou à gauche, comme sur une foi religieuse, absolument intolérante, dynamisée par des forces économiques puissantes.
A cet égard je pense que le tournant provoqué par la prise de position surprenante de Jean-Marc Jancovici en faveur du nucléaire a nourri des ambiguïtés dans tout l’éventail politique, permettant à la gauche de poursuivre le discours sur le travail des classes productives, et à la droite de défendre une certaine écologie appuyée sur le progrès technique. Mentionnons simplement comme l’a rappelé la cour des comptes, que pour les déchets dits « de faible activité à vie longue » (FAVL) il n’existe aucune solution de stockage à ce jour, et cela concerne en France près de 280 000 mètres cubes de déchets, radioactifs pendant 100 000 ans.
Une phrase récente d’une députée de gauche me semble révélatrice d’un nouage inextricable profondément ancré dans les références politiques. Je l’empreinte à Clémentine Autain grande défenseuse de l’esprit public et du champ à réserver à la pensée et à la décision collective en démocratie [.]
A propos de la suppression éventuelle de certaines chaînes de télé elle fait remarquer que « c’est l’Arcom qui donne les chaînes, c’est la puissance publique qui décide de l’attribution des canaux. Les canaux sont donnés par le public, ça nous appartient à tous et à toutes. Ce qui m’intéresse ce sont les principes et le bien commun qui est alloué. L’information doit être un bien commun ».
Pour cette brillante polémiste les chaînes privées sont tendancieuses alors que l’attribution des canaux est un bien public commun dont l’État a la charge. La gauche défend des principes de justice et d’égalité, la droite ne défend que des règles du jeu de liberté économique (cf. mes commentaires sur John Rawls dans ce blog).
Le problème actuellement est que ni les uns ni les autres n’ont réussi en matière d’écologie. L’échec de la gauche à ce sujet tient à la distance entre les principes et les réalités vécues ou ressenties. Que faire en démocratie quand une majorité du peuple est contre l’écologie ou s’en méfie ? C’est peut-être encore réparable avec une longue et patiente éducation. En revanche c’est actuellement la droite qui mène le monde et par des rapports de force d’une brutalité nouvelle qui semblent mettre en péril l’avenir même du libéralisme économique. Je reconnais que l’analyse des marchés financiers comme moyen de gouvernance dans le genre de ce dont j’ai parlé dans ce blog est insuffisante. Ce que l’actualité nous montre c’est que la guerre est indispensable à l’économie capitaliste pour renouveler l’industrie d’armement et utiliser les stocks. La guerre en Irak puis l’attaque récente contre l’Iran montre à chaque fois un casus belli artificiellement monté en épingle comme un scenario de théâtre. En plus, le nucléaire ne restera sûrement pas au niveau des principes et de la dissuasion. Car on est en train d’inventer des armes nucléaires graduelles, toutes sortes de variantes, technologiquement associées à des dispositifs de guidage sophistiqués.
Toute ma vie j’ai misé sur des principes selon la raison kantienne. Je m’aperçois, maintenant octogénaire, que ce n’est pas cela qui gagne. Le monde est mené par ceux qui veulent frénétiquement gagner, et en fait ils ne savent pas où cela mènera.