Trump, Vance, etc. et la finance d’initiative comme stade ultime des marchés.

Trump, Vance, et la finance d’initiative comme stade ultime des marchés.

Si l’on en juge par les réactions rapides des médias, une bonne part des intellectuels en Europe, mais aussi aux Etats-Unis y compris chez les partisans de Trump tels que Curtis Yarvin par exemple, a réagi aux décisions à l’emporte-pièce de Trump en le qualifiant d’incompétent, il n’aurait même pas compris que le libre échange est à l’avantage de tous !

              Mon propos n’est pas de proposer une théorie qui viendrait apporter une rationalité cachée à l’action politique de Trump, mais d’expliquer que si Wall Street ne s’est pas opposée frontalement à Trump – ce qu’on désigne parfois par le terme « vibe shift » –  c’est que Trump s’est considéré avantagé par le renouveau qui s’opérait en finance dont il s’est vu opportunément – à tort ou à raison – un acteur tout désigné.

L’économie comme science hybride coïncée entre la sociométrie et le management a perdu l’aura qu’elle  avait vers la fin des 30 glorieuses. C’est que le capitalisme a considérablement évolué ainsi que les conditions géopolitiques. Il est néanmoins un domaine où l’économie reste légitime pour expliquer les tendances politiques : la finance qui a subi durant ces 60 dernières années une structuration mathématique curieuse. Elle ne peut revendiquer une exactitude opérationnelle absolue mais elle a fourni un cadre de pensée pertinent pour  les nouveaux outils à disposition des décideurs de transactions et gestionnaires de portefeuilles.

              Un déroulé historique simplifié est indispensable à la compréhension de la problématique actuelle.

  La science économique était parvenue à prouver que des comportements de prudence consistant à former des portefeilles de valeurs homothétiques à la totalité du marché réalisaient une harmonie générale avec la meilleure balance entre rendement et risque. C’était le CAPM (Capital Asset Pricing Model 1961).

1/ Durant les trois décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le hasard qui s’observait à l’évidence dans la vie économique était abordé avec la rationalité des ingénieurs en termes de moyenne, d’écart-type et de corrélation. Les ingénieurs évaluateurs de risques pour les prêts bancaires aux entreprises  constituaient une profession d’experts de référence maîtrisant la rationalité des choix en incertitude. Ces usages, qui nous apparaissent désuets, ont pourtant accompagné la période la plus florissante si l’on en juge par les résultats économiques.            

2/ Parallèlement la théorie économique de l’équilibre général avançait rapidement et sous la plume de Kenneth Arrow et Gérard Debreu une étape conceptuelle décisive fut franchie en 1954, véritablement révolutionnaire au point qu’elle ne fut réellement  mise en place dans les marchés mondiaux que 20 ans plus tard tant la crainte était forte que cette idée crée des instabilités dangereuses.

              Elle consistait à montrer que le théorème de l’équilibre qui dit qu’un prix s’établit pour chaque denrée permettant pour chaque acheteur-vendeur de suivre sa fonction d’utilité en ne se rapportant qu’à ce prix, pouvait s’étendre sans changement au cas des biens contingents c’est-à-dire  de valeurs dépendant de l’avenir des cotations et des transactions.

3/ L’appréhension devant le mise en œuvre de ces marchés à terme fut dissipée par la découverte d’une méthode décrite dans un célèbre article de Black et Scholes de 1973, et très rapidement les marchés dérivés s’organisèrent dans toutes les places financières mondiales. Les nouvelles méthodes de couverture (par portefeuille simulant ou delta neutre) furent enseignées et utilisées partout. (cf l’article de Ivan Ascher sur ce blog Donald Trump, loup de Wall Street ? )

              Du point de vue de la politique économique mondiale ces innovations revenaient à confier aux investisseurs et parties prenantes elles-mêmes le soin d’exprimer leurs anticipations et en particulier d’évaluer les risques de volatilité dus à l’agitation des cours.On ne croyait plus aux lois de probabilité que les ingénieurs calculaient par leurs modélisations, et ils quittèrent les banques.

4/ Le système se perfectionna encore par le stade de la mise en place de la titrisation. Je ne m’étends pas ici sur ce sujet. La crise de 2008-2009 n’a d’ailleurs pas récusé ces pratiques  de mise en marché de paquets de prêts et d’actifs divers.

              Comment aller plus loin ? On avait l’impression  d’avoir fait l’extension maximale du rôle des marchés financiers dans l’économie et que rien ne pouvait encore être conquis.

5/ Une question fondamentale restait pourtant : la complétude et donc l’efficience des marchés. Les marchés étaient-ils complets ? Aujourd’hui que les marchés à terme sont en place et que la gestion des options par portefeuille simulant est pratique courante, pour quelle raison les marchés pourraient-ils ne pas être complets et donc perdre leur pertinence économique ?  Le seul problème sur lequel la théorie achoppe est la présence de sauts. Les événements arrivant  par surprise, brutaux, soudains, imprévisibles (tremblement de Terre, guerres, pandémies, etc.) ne peuvent pas être pris en compte par les nouvelles méthodes.

              Il est évident que confier la meilleure expertise sur les marchés aux parties prenantes elles-mêmes est un perfectionnement du capitalisme  qui ne peut englober les événements  dont les parties prenantes n’ont pas connaissance et qui les mettent devant le fait accompli.

             Lorsque les cours sont continus les nouvelles techniques s’appliquent, elles sont extraordinairement efficaces mais non lorsqu’il y a des sauts. Lorsque certaines cotations viennent à sauter des risques résiduels s’accumulent, c’est incontournable et corroboré par les mathématiques et la théorie des processus aléatoires.

              Ceci ouvre les  marchés financiers à des situations nouvelles qui étaient cependant étudiées en micro-économie : les stratégies en information incomplète  (cf. le traité de Jean Tirole qui le rendit célèbre) avec l’univers des coalitions possibles.

6/ J’ouvre ici une parenthèse. L’efficience est la question économique concrète de savoir si un marché résout ou non de façon optimale la répartition des biens par le prix. En mathématiques  financières on appelle « filtration » une famille croissante de sigma-algèbres à laquelle les processus des cotations sont adaptés. Eugene Fama reçu le prix de la banque de Suède pour  avoir défendu l’idée que les diverses filtrations  représentaient les divers degrés d’efficience des marchés c’est-à-dire la plus ou moins bonne affectation des ressources qu’ils réalisent. C’est une blague.  Pourquoi ? Parce que ces diverses filtrations ne sont pas connaissables empiriquement . On ne connaît qu’une seule trajectoire de chaque prix coté, celle qui est observée, les filtrations n’existent que dans l’esprit du modélisateur. Cela montre aussi l’incurie des « experts » qui attribuent les lauriers. [cf. N. Bouleau Wall street ne connaît pas la tribu borélienne Spartacus-idh 2017].

Cette phase de la finance  où nous sommes maintenant avec Trump et Vance  comme principaux thuriféraires , a la spécificité d’introduire l’initiative  dans la scène des échanges. Il est évident que cela renforce les puissants financièrement. Mais cela ne semble pas choquer les Américains. Déjà John Rawls prétendait que l’équité était que les règles du jeu soient les mêmes pour tout le monde.

              Reste que ce ballet avec ses coalitions et sa chorégraphie sautillante pourrait bien avoir pour conséquence de détruire la coalition générale  dont nous avons besoin pour le climat et la biodiversité.

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